Par une belle fin d’après-midi de printemps sur Agroparc, nous avons échangé avec Valérie Legendre, Consultante et Gérante du cabinet Florian Mantione Institut d’Avignon, qui nous apporte ses éclairages et conseils.
Seniors : quelles définitions peux-tu nous donner ?
Pour moi, il y en a deux : l’âge et l’expertise. Parfois, on dit « sénior dans un poste », cela ne veut pas dire que la personne a 70 ans ! Tu commences à être sénior dans un poste après huit, dix ou quinze ans, c’est-à-dire expert dans un domaine, un métier. Et on l’oublie souvent cette définition !
Sinon, la notion de sénior par rapport à l’âge, dans les grands groupes c’est souvent à partir de 50 ans, même parfois, à partir de 45 ans. C’est le moment où on commence à avoir des parcours pour lesquels l’entreprise se pose des questions. Je dois dire que dans les PME, et aussi dans l’imaginaire général des gens, le frein psychologique de l’âge, ça démarre à 50 ans. Et je trouve ça très tôt ! Parce qu’à 50 ans, on a encore plein d’énergie, on a au moins encore 15 ans à travailler, et avec les parcours de vie d’aujourd’hui, avec les remariages, les déménagements, les recompositions de famille, les enfants eus tard, on est encore en plein dedans ! Mais je confirme que je sens bien ce frein psychologique de la cinquantaine. Quand je commence à proposer des CV de personnes de cet âge, il faut argumenter « serré » et les entreprises sont plus réticentes. Donc, dans la réalité, 50 ans c’est un peu fatidique, et 55 ans ça commence à être compliqué. Encore une fois, ce n’est pas ce que je partage comme point de vue, mais c’est ce que je vois !
Le sénior en expertise, il peut être un peu plus jeune, mais au bout d’une dizaine d’années dans un même poste, on voit quand même arriver les craintes de rigidité, de manque d’adaptabilité de la part des entreprises. Donc, quand quelqu’un est trop longtemps sur une même responsabilité, cela peut aussi être perçu négativement. Ce qui est contradictoire avec la recherche d’expérience et d’expertise mais c’est le mouvement global et accéléré de la société d’aujourd’hui qui veut ça, et il faut faire avec.
Quels sont les principaux freins, craintes (exprimés ou pas) des entreprises pour recruter un sénior ?
L’âge, qu’est-ce que cela évoque tout de suite chez les recruteurs, les employeurs ? C’est « il n’aura pas la pêche suffisante », c’est une image de dynamisme que tu perds à partir d’un certain âge. Et cela participe de l’imaginaire social.
Le questionnement qui vient souvent après est lié à la santé : « il est en pleine forme, mais demain il aura mal au dos ! ». Donc l’entreprise pense : « Je n’aurai certes pas de problèmes de grossesse à gérer, mais j’aurai des problèmes d’arrêts maladie. » Ce sont des choses qui font peur.
Et bien sûr, il y a l’aspect salaire, qui est légitime. En principe, les séniors ont un salaire plus élevé. Les entreprises ont besoin d’être rassurées sur ce point. : il y a des séniors qui avaient un bon salaire dans un poste précédent et qui, pour une nouvelle aventure, sont prêts à vraiment baisser leur rémunération. Et même cela, c’est parfois compliqué à faire passer comme message, ce n’est pas toujours crédible. Il faut vraiment convaincre sur ce point : aujourd’hui, il ou elle vient pour un projet, il/elle sait où il en est, il/elle accepte en connaissance de cause et vient chercher et donner autre chose…
Après, sur l’aspect « comportements », il y a la fameuse rigidité face à l’innovation ! On va là parler de savoir-faire, comme la manipulation d’outils numériques parfois problématique, ce qui est une réalité souvent. Mais on arrive quand même à passer outre, car le sénior sait de plus en plus être à l’aise avec ces outils et il a souvent un recul par rapport à leur utilisation, que je trouve très intéressant.
Enfin il y a cette adaptabilité. C’est toujours un questionnement, et il faut rassurer ! Quand je présente des profils, je commente les CV, j’argumente, je donne des exemples de projets réalisés concrets, pour donner envie de passer à l’étape de l’entretien. Au passage, toujours faire attention au CV, ce n’est pas anodin : avec un CV trop vieillot, tu es mort !
Les entreprises ont peur du manque d’adaptabilité aux outils, mais aussi à une équipe, à une culture d’entreprise, à un rythme élevé sur les missions. Y arrivera-t-il ? Il y a également ce réflexe social teinté de « jeunisme » : on n’aura pas le même humour, les mêmes sorties, les mêmes loisirs… c’est une équipe de jeunes, comment il va s’intégrer ?
Quels conseils donnerais-tu à un cadre sénior pour améliorer son employabilité et convaincre un recruteur ?
Je vais peut-être commencer par les défauts que je vois chez les séniors et qu’il faudrait corriger : je trouve parfois, un certain manque d’humilité !
Quand il y a déjà tous les a priori dont on a parlé, il ne faut pas en rajouter et faire attention. C’est vrai, un sénior a une expérience, une prise de recul, mais il faut montrer qu’on a encore des choses à apprendre, qu’on ne fait pas mieux, qu’on fait différent. On peut avoir « un coup d’avance », mais on attend de voir, avant de donner son avis tranché. Même si c’est sur le ton de la mise en confiance, le « moi j’ai tout vu, je sais » n’est pas vraiment la bonne approche. Il est préférable de rester un peu plus modeste ! Aujourd’hui, il y a une explosion des hiérarchies, tout le monde est en réseau, en transverse, il faut faire sa place. Et cela ne veut pas dire d’emblée se positionner au-dessus.
Donc, à la prise de décision pour le recrutement, cette attitude peut générer une peur, celle du risque de ne pas bien compléter le puzzle. Il faut avoir conscience qu’un recrutement pour une entreprise, c’est un investissement très important (financier, de temps, de ressources) et que le risque est à la hauteur !
Prendre en compte aussi cette autre peur, liée à la posture affichée et aux principes exprimés, de l’ascendant qu’un candidat pourrait prendre, sur son manager, sur son équipe, sur l’organisation, d’une possible « prise de pouvoir ».
Donc un premier conseil : le jouer « juste » ! La ligne de conduite reste l’authenticité.
Oui, il faut se valoriser, oui, il faut parfois enjoliver ou simplifier les choses, mais il faut être le plus possible tel qu’on est, ne pas en rajouter. C’est parce qu’on a de l’expérience, qu’il faut savoir être juste dans sa posture. C’est en tout cas le recul que l’on attend d’une personne plus âgée.
Ne pas se « survendre », démontrer cette capacité à synthétiser son parcours, et à mettre en avant les projets et les missions en rapport avec le poste. J’en vois beaucoup, beaucoup trop, qu’on ne peut pas arrêter dans leur envie de tout dire, tout montrer, et donc trop dire et trop montrer.
Les plus âgés tombent souvent dans le panneau : ils négligent cette préparation de l’entretien qui va permettre de pas se laisser embarquer, mais de tenir compte de la personne en face, et d’avoir cette attitude professionnelle de prise de recul pour être juste par rapport au poste, à l’entreprise et à son propre parcours.
On ne le dira jamais assez : préparez l’entretien, avec une présentation synthétique, des exemples concrets, travaillés, qu’on proposera d’aborder, avec une intention sincèrement positive.
Lors de l’entretien, un sénior devra lever les a priori dont nous venons de parler : et là, pas de recette miracle, tout passe par l’écoute et le décryptage des réactions. Il faut pouvoir sentir quand on perd l’intérêt, quand on passe à côté de quelque chose, et reformuler, relancer. Arriver avec cette intention, c’est très important. Et ne pas oublier de bien finir, en restant dans le temps imparti !
C’est beaucoup, je sais, surtout avec le stress de l’entretien et de son enjeu, mais plus on en est conscient, plus on corrige et on optimise.
Et ça finit par un nouveau job ! Si si…